Pas besoin d'être un hacker pour lancer une fausse alerte d'attentat

Tribune parue sur lexpress.fr le 21/09/2016

Samedi, une fausse alerte attentat ayant déclenché le déploiement d’un important dispositif policier à Paris était revendiquée par des adolescents. Depuis, ils sont présentés comme des hackers par certains médias.

Le weekend dernier, un déploiement impressionnant de forces de l’ordre s’est opéré autour de l’église Saint Leu Saint Gilles dans le quartier des Halles, à Paris. Le quartier est bouclé très rapidement après une alerte donnée par téléphone. Les chaînes d’infos en continu, les réseaux sociaux se mettent en mouvement et suivent ce qui semble être une prise d’otages à caractère terroriste.

Une heure plus tard, le doute est levé. Pas d’otages, pas d’armes, pas de bombe ni de ceinture d’explosifs comme l’appel de 15h30 à police-secours l’avait indiqué. Dans la foulée, cette fausse alerte est revendiquée sur un réseau social par deux adolescents au ton bravache.

Des initiateurs bien au chaud derrière leur ordinateur

À défaut de couvrir une nouvelle attaque terroriste sur le sol français, beaucoup de médias d’actualité décident donc de traiter l’extraordinaire coup de ces deux jeunes gens qui ont réussi à mobiliser les forces anti-terroristes et à capter l’attention fébrile des chaînes d’infos et de milliers de gens pendant près d’une heure de ce samedi après-midi banal.

La disproportion entre le déploiement de forces sur le terrain et la désinvolture de ces initiateurs bien au chaud derrière leur ordinateur a donné là une histoire de substitution à traiter. Comment peut-on berner ainsi les forces de police ? Comment un adolescent peut se faire passer pour un religieux pris en otage pendant 30 minutes et convaincre ces interlocuteurs de la véracité de tout ce qu’il leur décrit ? Et c’est ainsi que, dans le traitement de l’info, les fanfarons sont devenus des hackers, avec tout l’imaginaire farfelu qui va avec.

C’est à la portée de tout le monde

Quand il y a encore quelques années de ça, une alerte à la bombe était lancée depuis une cabine téléphonique, on ne parlait pas de hackers. Alors pourquoi ici ? Parce qu’ils sont jeunes ? C’était déjà le cas dans le passé. Parce qu’ils passent leur appel depuis un ordinateur, en utilisant un logiciel ?

Pourtant, aujourd’hui, il est devenu banal d’utiliser un logiciel de “voix sur ip” pour passer des appels, que ce soit sur son téléphone ou sur son ordinateur. C’est à la portée de tout le monde et pour peu qu’on cherche cinq minutes comment faire : n’importe qui peut modifier le numéro qui s’affiche chez son correspondant comme l’ont fait les “hackers” de ce weekend. Quelques clics suffisent et aucun exploit technique n’est nécessaire, c’est à la portée de tout un chacun.

Le hacker, cette figure médiatique construite

Si le même scénario avait eu lieu avec deux femmes dans la cinquantaine, aurait-on parlé de “hackers” ? La construction médiatique de la figure du hacker est tenace. Pour beaucoup de médias français, le hacker est toujours ce jeune homme qui passe son temps à jouer et à faire des choses étranges et mystérieuses derrière son ordinateur. Aussi, dès qu’un fait divers implique de jeunes hommes se vantant d’avoir très facilement eu un effet énorme grâce à leurs actions derrière un ordinateur, l’association inverse est facile, évidente et pourtant fallacieuse.

Être un hacker ou pas, c’est une question difficile : il n’y a pas de carte de membre. Ce n’est pas un titre qu’on obtient ou qu’on se donne. C’est avant tout une démarche, une attitude, un ensemble de questionnements et d’actions avec comme dénominateur commun : chercher à comprendre comment fonctionne un système en le décomposant en parties élémentaires qu’on pourra recomposer à son bon vouloir pour éventuellement en détourner la finalité originale.

Peut-être que ces jeunes hommes sont des hackers, ils se présentent comme tels. Mais rien de ce qu’il s’est passé ce weekend ne l’a montré et prétendre l’être ne suffit pas. Après tout, ils ont bien prétendu être pris en otage.

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